Ainsi donc, après avoir gravi un chemin pentu
empierré raviné par les pluies d'orage je découvre le cœur de cette propriété
familiale qui va de venir pour moi un havre de paix et de tranquillité.
La maison est accueillante dans sa simplicité
tout comme ces gens qui vont m'héberger pendant quelques mois et que je
reverrai périodiquement pendant plusieurs années.
Leur gentillesse et leur affection ne
suffisent pas à combler le vide qui s'est emparé du cœur de ce bonhomme de six
ans. D'autant que cette famille vient de savoir et qu'entre eux ils parlent
avec des mots de leur province. Cela ajoute un peu plus à mon isolement car,
par ailleurs, c'est le patois local.
Mais, petit à petit, je prends mes repères
dans cette maison aménagée simplement . Proche d'elle, sur le talus, une autre
bâtisse sert de réserve pour les provisions alimentaires, notamment, le fromage
fait maison, le vin de la propriété vinifié par Francis.
En face, un grand
corps de bâtiment abritait : remise étable, porcherie et atelier. Tout autour
des terres cultivées, des prés, de la vigne, le potager et plus loin un grand
bois. C'est mon nouvel univers que j'apprivoise en me mêlant à la vie de la
ferme.
La famille Tornier
est très chrétienne et avant de prendre connaissance des manuels scolaires, mon
éducation passe par la prière et notamment par le recours à la protection
divine quand les éclairs d'orage zèbrent le ciel. Nous ne manquions pas une
messe dominicale et je devais également
des prières à mes parents et je voyais de temps en temps le curé venir bénir
les lieux. C'est nouveau, mais dans cette atmosphère austère, je sens que je
commence à m'imprégner de cette vie particulière façon GRANGER.
Progressivement,
je me rapproche de ces animaux qui m'impressionnent : dindons, oies, canards,
cochons et bétail que je garderai sur la grande pièce qui surplombe la route
venant de La Cambe de l'Homme, d'où de temps en temps j'adresse quelques signes
à Aimée, Janine et leur maman qui vont à bicyclette au village. D'autrefois, ce
sont les Bascole de Montmarèsou Oswald Aureille ou Yvon Laparra.
Là, je suis près
des terres des Bellanger, presque en face de Lauzel, je vois le clocher de
l'église, la maison des Durand, l'atelier du charpentier Réaust, le toit de
Luguet, le tertre de Monségur et haut perché Monflanquin, de l'autre côté, chez
Seunes.
Mois après mois,
je participe aux divers travaux : garder les dindons qui aimaient les raisins
autant que moi, aider aux champs, au potager, à la récolte des haricots verts
et secs, à l'arrosage des tomates en plein champ……
C'était la vraie
vie paysanne, rythmée par les saisons qui m'a été inculquée et à laquelle est
venu s'ajouter un nouveau greffon, la scolarité pendant laquelle j'ai connu
d'autres enfants du village et des alentours. Les petits travaux, c'était avec
Mamie Tornier et Yvonne, les plus durs avec Francis, l'homme de la ferme.
Une anecdote à
propos des haricots secs : ils étaient battus à même le sol dans la cour. Le
maximum était ramassé pour la consommation de la ferme et dans le tas de cosses
et de poussière qui restait, je finissais de trier et une poche de grains était
envoyée à Bègles.
J'étais devenu au
fil du temps un assistant apprécié : je savais mettre les bêtes au joug pour
atteler charrette, charrue et tombereau, moyens de travail ou de transport,
notamme,t pour aller au village porter les sacs de blé à la boulangerie Eyma.
En échange du
grain, il nous était remis des tickets qui payaient ce bon pain que nous
n'avions plus à Bègles.. Dans le fournil, parfumé par les cuissons ou dans la
cuisine attenante, il y avait toujours un petit quelque chose à grignoter,
précédé d'un accueil chaleureux par Vovo.
On faisait aussi
le bois pour la cheminée grosse dévoreuse, on préparait la gamelle du cochon,
on ramassait pour les lapins, on jetait le grain aux volailles, tous ces
animaux pourvoyeurs de nourriture qui assuraient la subsistance principale de
toute la famille.
Cette vie était
devenue agréable, le temps passait bien. La communauté savignacaise vivait, il
me semble en bonne harmonie autour de son bourg où régnait une atmosphère
sereine. Bien sur, il pouvait y avoir quelques "chamailleries" comme
partout, mais des rencontres amicales se faisaient fréquemment dans les
commerces nombreux à l'époque : boulangerie Eyma, les épiceries Laduranty et
Laporte, la recette postale chez Laduranty, la forge Laporte, le café Testut
avec le bal le dimanche. Le dimanche, les offices religieux auxquels les
paroissiens étaient appelés par la cloche sonnée par M. Cancé qui était aussi
facteur. M. Lambert, coiffeur s'installait le dimanche dans la maison à côté de
l'église. La mairie était ouverte le Dimanche matin. Ces moments de rencontres
et d'échanges servaient aussi à la circulation de toutes les nouvelles
concernant la vie des familles et des exploitations.
En août, c'était
le fête votive. Qui était le Saint ? Les gens venaient de tout le
canton. Nous nous y amusions gentiment, naïvement, jouant quelques sous. La
plus belle et la plus joyeuse animation était le bal sur la place devant chez
Laporte. Les flonflons émouvants des saxos et accordéons nous appelaient
jusqu'au loin à participer à ce rendez-vous annuel clôturé par un feu
d'artifice. C'étaient de bons moments.
Le dimanche après-midi, à travers champs, je rejoignais
mes sœurs, soit à Luguet, soit à Bécade. Ces retrouvailles fraternelles étaient
très importantes mais trop courtes. Je repartais souvent le cœur gros. Je
devais rentrer pour garder les vaches, eh oui, même le dimanche. Je me
retournais souvent pour apercevoir encore Luguet ou Bécade.
Les jours, les mois de cette vie nouvelle s'écoulaient
ainsi, presque réglés d'avance. Je crois que je m'ennuyais un peu, j'étais
peiné, c'est sûr. La maman et le papa étaient loin, pas joignables comme
aujourd'hui. Les petites sœurs grandissaient sans nous. Nous ne pouvions pas
leur faire partager les moments sereins que nous vivions.
Roger LANTIER