samedi 28 septembre 2013

Les réfugiés sanitaires à Savignac pendant la guerre de 39-45 : La vie à Granger de Roger Lantier


Ainsi donc, après avoir gravi un chemin pentu empierré raviné par les pluies d'orage je découvre le cœur de cette propriété familiale qui va de venir pour moi un havre de paix et de tranquillité.

La maison est accueillante dans sa simplicité tout comme ces gens qui vont m'héberger pendant quelques mois et que je reverrai périodiquement pendant plusieurs années.

Leur gentillesse et leur affection ne suffisent pas à combler le vide qui s'est emparé du cœur de ce bonhomme de six ans. D'autant que cette famille vient de savoir et qu'entre eux ils parlent avec des mots de leur province. Cela ajoute un peu plus à mon isolement car, par ailleurs, c'est le patois local.

Mais, petit à petit, je prends mes repères dans cette maison aménagée simplement . Proche d'elle, sur le talus, une autre bâtisse sert de réserve pour les provisions alimentaires, notamment, le fromage fait maison, le vin de la propriété vinifié par Francis.

En face, un grand corps de bâtiment abritait : remise étable, porcherie et atelier. Tout autour des terres cultivées, des prés, de la vigne, le potager et plus loin un grand bois. C'est mon nouvel univers que j'apprivoise en me mêlant à la vie de la ferme.

La famille Tornier est très chrétienne et avant de prendre connaissance des manuels scolaires, mon éducation passe par la prière et notamment par le recours à la protection divine quand les éclairs d'orage zèbrent le ciel. Nous ne manquions pas une messe  dominicale et je devais également des prières à mes parents et je voyais de temps en temps le curé venir bénir les lieux. C'est nouveau, mais dans cette atmosphère austère, je sens que je commence à m'imprégner de cette vie particulière façon GRANGER.

Progressivement, je me rapproche de ces animaux qui m'impressionnent : dindons, oies, canards, cochons et bétail que je garderai sur la grande pièce qui surplombe la route venant de La Cambe de l'Homme, d'où de temps en temps j'adresse quelques signes à Aimée, Janine et leur maman qui vont à bicyclette au village. D'autrefois, ce sont les Bascole de Montmarèsou Oswald Aureille ou Yvon Laparra.

Là, je suis près des terres des Bellanger, presque en face de Lauzel, je vois le clocher de l'église, la maison des Durand, l'atelier du charpentier Réaust, le toit de Luguet, le tertre de Monségur et haut perché Monflanquin, de l'autre côté, chez Seunes.

Mois après mois, je participe aux divers travaux : garder les dindons qui aimaient les raisins autant que moi, aider aux champs, au potager, à la récolte des haricots verts et secs, à l'arrosage des tomates en plein champ……

C'était la vraie vie paysanne, rythmée par les saisons qui m'a été inculquée et à laquelle est venu s'ajouter un nouveau greffon, la scolarité pendant laquelle j'ai connu d'autres enfants du village et des alentours. Les petits travaux, c'était avec Mamie Tornier et Yvonne, les plus durs avec Francis, l'homme de la ferme.

Une anecdote à propos des haricots secs : ils étaient battus à même le sol dans la cour. Le maximum était ramassé pour la consommation de la ferme et dans le tas de cosses et de poussière qui restait, je finissais de trier et une poche de grains était envoyée à Bègles.

J'étais devenu au fil du temps un assistant apprécié : je savais mettre les bêtes au joug pour atteler charrette, charrue et tombereau, moyens de travail ou de transport, notamme,t pour aller au village porter les sacs de blé à la boulangerie Eyma.

En échange du grain, il nous était remis des tickets qui payaient ce bon pain que nous n'avions plus à Bègles.. Dans le fournil, parfumé par les cuissons ou dans la cuisine attenante, il y avait toujours un petit quelque chose à grignoter, précédé d'un accueil chaleureux par Vovo.

On faisait aussi le bois pour la cheminée grosse dévoreuse, on préparait la gamelle du cochon, on ramassait pour les lapins, on jetait le grain aux volailles, tous ces animaux pourvoyeurs de nourriture qui assuraient la subsistance principale de toute la famille.

Cette vie était devenue agréable, le temps passait bien. La communauté savignacaise vivait, il me semble en bonne harmonie autour de son bourg où régnait une atmosphère sereine. Bien sur, il pouvait y avoir quelques "chamailleries" comme partout, mais des rencontres amicales se faisaient fréquemment dans les commerces nombreux à l'époque : boulangerie Eyma, les épiceries Laduranty et Laporte, la recette postale chez Laduranty, la forge Laporte, le café Testut avec le bal le dimanche. Le dimanche, les offices religieux auxquels les paroissiens étaient appelés par la cloche sonnée par M. Cancé qui était aussi facteur. M. Lambert, coiffeur s'installait le dimanche dans la maison à côté de l'église. La mairie était ouverte le Dimanche matin. Ces moments de rencontres et d'échanges servaient aussi à la circulation de toutes les nouvelles concernant la vie des familles et des exploitations.

En août, c'était le fête votive. Qui était le Saint ? Les gens venaient de tout le canton. Nous nous y amusions gentiment, naïvement, jouant quelques sous. La plus belle et la plus joyeuse animation était le bal sur la place devant chez Laporte. Les flonflons émouvants des saxos et accordéons nous appelaient jusqu'au loin à participer à ce rendez-vous annuel clôturé par un feu d'artifice. C'étaient de bons moments.

Le dimanche après-midi, à travers champs, je rejoignais mes sœurs, soit à Luguet, soit à Bécade. Ces retrouvailles fraternelles étaient très importantes mais trop courtes. Je repartais souvent le cœur gros. Je devais rentrer pour garder les vaches, eh oui, même le dimanche. Je me retournais souvent pour apercevoir encore Luguet ou Bécade.

Les jours, les mois de cette vie nouvelle s'écoulaient ainsi, presque réglés d'avance. Je crois que je m'ennuyais un peu, j'étais peiné, c'est sûr. La maman et le papa étaient loin, pas joignables comme aujourd'hui. Les petites sœurs grandissaient sans nous. Nous ne pouvions pas leur faire partager les moments sereins que nous vivions.

Roger LANTIER